La présidence européenne du CEPHES vient d’être saisie d’un nouveau dossier. Il s’agit d’un projet de construction d’une liaison aérienne de type EHT/380 kV entre les postes de Chamoson et de Chippis, dans le Valais (Confédération helvétique), soit une trentaine de kilomètres (voir le trait rouge sur la carte).
Selon EOS (Electricité de l’ouest Suisse), il s’agirait de terminer le bouclage du réseau 380 kV dans cette région qui est déjà fortement défigurée par les lignes aériennes existantes. Le nouveau tronçon de 30 km devrait notamment affecter l’agglomération de Sion, chef-lieu du Valais. Selon l’habitude, les dirigeants de la compagnie concernée ont affirmé, de façon péremptoire, qu’il était « impossible » d’enfouir l’ouvrage, même sur une courte distance. Il va sans dire que Daniel Depris conteste cette affirmation totalement fallacieuse (voir ce qui est dit à ce propos sur notre site http://depris.cephes.free.fr ).
Le président européen du CEPHES va aussi vérifier la justification du projet, lequel semble ne constituer que l’un des maillons du renforcement du grand réseau EHT/380 kV européen avec, pour finalité, de permettre l’accroissement des exportations d’électricité vers l’Italie et la Grèce (via les liaisons sous-marines existantes ou prévues) et, dans un second temps, vers la Tunisie (via une liaison sous-marine à installer entre la Sicile et la Tunisie).
La carte reproduite ci-dessous, permet de situer le tronçon considéré par rapport au reste du réseau helvétique ainsi que par rapport aux réseaux français et italiens. Sur ce document datant de l’année 2000, les lignes 220 kV sont en vert, les lignes 380/400 kV en rouge. On remarque que le poste de Chamoson est indiqué en rouge ce qui signifie qu’il est d’ores et déjà équipé pour la classe de tension 380/400 kV. Par contre, le poste de Creux de Chippis est signalé comme poste THT 220/kV.
Cette première analyse permet de penser que la justification fournie par EOS n’est pas conforme à la finalité effective de l’opération. Comme c’est souvent le cas dans de telles circonstances, il semble qu’il y ait volonté délibérée de « saucis-sonner » le projet afin que la justification réelle n’apparaisse pas aux yeux des décideurs et des citoyens concernés. Il y a aussi, manifestement, volonté de faire accoler l’étiquette « utilité publique » à des projets qui sont d’abord, et essentiellement, commerciaux.
Daniel Depris tient à rappeler que les compagnies gestionnaires des grands réseaux interconnectés se retranchent derrière l’article 9 de la directive européenne 96/92/CE du 19 décembre 1996 établissant les règles communes pour le marché de l’électricité. Cet article du chapitre IV stipule, en effet, que « Le gestionnaire du réseau de transport doit préserver la confidentialité des informations commer-cialement sensibles dont il a connaissance au cours de l’exécution de ses tâches ». Le président du CEPHES insiste sur le fait que cet article peut servir de justification à toutes les manipulations, à toutes les dissimulations, sous couvert de « confidentialité commerciale ». Il constitue une réelle entrave grave à l’exercice des droits démo-cratiques.
Dans le second rapport établi en 2003 pour le compte de la D.R.I.R.E. Languedoc-Roussillon, les experts italiens du CESI ont, par ailleurs indiqué (page 9/48) que « La création d’une marché européen de l’énergie électrique, préconisée par l’Union européenne dans la Directive 96/92/CE, requiert la disponibilité d’infrastructures de réseau interne et transfrontalières dans chacun des Etats membres. Le système européen est actuellement composé par un bloc continental central (*) et six satellites ayant une faible capacité d’importation… Il faut remarquer que la capacité d’importation réduite entre les zones satellites et le bloc continental provoque une congestion du marché qui limite les transactions… ». A la page 11/48 du même rapport, on peut aussi lire que « Le manque de capacité d’interconnexion a été constaté pour différents pays dont certains sont à un niveau nettement inférieur à la cible établie. Pour corriger ce déficit, l’U.E. a établi une liste de priorité et a identifié 7 goulets d’étranglement qui doivent être renforcés, en particulier :
La frontière entre la France et l’Espagne
L’Italie (en particulier les frontières Italie-France/Suisse et Italie-Autriche/Slovénie)
…
Le « goulet italien » est, avec le « goulet espagnol », celui qui préoccupe le plus les milieux d’affaires qui régissent le marché de l’énergie électrique.
A titre documentaire, nous rappellerons qu’en 2001, la Suisse avait fourni 23,83 TWh à l’Italie tandis que 18,2 TWh étaient acheminés vers ce pays depuis la France. L’Italie avait aussi importé un peu d’électricité depuis la Slovénie (5,13 TWh) et l’Autriche (1,86 TWh). On voit que sur les 49 TWh qui ont été importés par les Italiens en 2001, 42 TWh ont transité par les interconnexions reliant l’Italie à la France et à la Suisse que et que 56,75 % de ces 42 TWh ont été acheminés par les lignes des réseaux suisses.
Pour bien situer ces chiffres, nous rappellerons que la somme totale des exportations françaises avait été de 46 TWh en 1990. En 2001, l’Italie importait donc plus d’électricité à elle seule que la somme des exportations françaises en 1991. Avec 42 TWh achetés à la France, elle achetait presque autant à elle seule que l’ensemble des clients d’EDF une dizaine d’années auparavant.
Notons encore que les exportations françaises vers l’Italie constituent des ventes à pertes typiques avec, pour la période 1995-2001, des prix de vente de l’ordre de 0,182 à 0,278 FF/kWh (**). En outre, on ne peut, en aucune façon, parler d’ « échanges » entre l’Italie et ses voisins.
(*) Bien que ne faisant pas partie de l’Union européenne, la Suisse est l’une des composantes majeures de ce « bloc continental central » qui implique également la France, le Benelux, l’Allemagne et l’Autriche. La Suisse est même l’élément essentiel de ce bloc en ce qui concerne les mouvements d’importation et d’exportation tandis que la France en est l’élément prédominant sur le plan des excédents de production. Une société helvétique comme EDL (Electricité de Laufenbourg) réalise plus de 20 millions de FS (après impôts) en ne s’occupant que des mouvements d’importation et d’exportation d’électricité (cette société est cependant actionnaire dans de nombreux groupes exploitant des centrales hydroélectriques et nucléaires). Ses bénéfices nets ont doublé entre 1989 et 1993 tandis que ceux d’EOS, pour la même période, passaient de 23 à 18,5 millions de FS. Il existe des contrats à long terme entre EDL et EDF, d’autant qu’EDL détient près d’un tiers des actions de la compagnie AKEB (qui exploite notamment la centrale nucléaire de Graben) qui détient elle-même des participations dans les centrales nucléaires françaises de Bugey et de Cattenom. Notons encore, qu’EOS détient 50 % du capital des « Centrales Nucléaires en Participation S.A. » (CNP), laquelle société détient des parts dans les centrales françaises de Fessenheim et de Cattenom (où l’on trouve aussi la société suisse FMB-BKW de Berne). Ces intérêts croisés rendent très malaisée l’analyse des relations financières qui unissent les compagnies suisses à EDF et RTE. C’est un secteur où la « transparence » est loin d’être la maître mot, d’autant que les dispositions de l’article 9 de la Directive 96/92 CE permettent de brouiller les cartes à volonté en dissimulant les informations essentielles.
Dans le domaine de la politique énergétique, la Suisse n’est pas un Etat indépendant. Elle est totalement tributaire des décisions prises par les instances de l’Union européenne, lesquelles obéissent elles-mêmes aux lois de l’ultralibéralisme économique qui ne prennent en considération que les profits à courts termes. Il s’agit là d’une notion que les compagnies d’électricité désignent sous le sigle « TRI » (taux de rentabilité Immédiate). Elle ne prend absolument pas en considération les impératifs de préservation de l’environnement et de protection de la santé.
(**) Selon les chiffres de l’administration française des Finances (service des douanes).
La politique d’exportation massive d’électricité nucléaire française (et suisse dans une moindre mesure) vers l'Italie n’a rien de bien nouveau. Déjà, en 1991, Lionel Taccoen (*) écrivait que : « La France est le seul grand pays exportateur. Elle vend actuellement environ 45 TWh dont 1/3 vers le Royaume-Uni et 1/3 vers l’Italie. dans l’avenir ces ventes s’accroîtront… ». Il ajoutait : «… Dans l’avenir, il est certain que l’intensité des échanges (sic) dépendra, non d’éventuelles mesures de libéralisation venant de Bruxelles mais bel et bien de la possibilité de construction de nouvelles lignes à haute tension face aux défenseurs de l’environnement … ». Cet extrait significatif permet, par ailleurs, de faire remarquer qu’en une dizaine d’années (1991-2001), les achats d’électricité française, par l’Italie, sont passés d’environ 15 TWh à plus de 40 TWh. Ils ont presque triplé en une seule décennie et ce mouvement ne fait que s’accentuer au fil des années (**).
Enfin, il faut considérer que le renforcement du grand réseau 380 kV de la confédération helvétique doit aussi permettre à EDF d’accroître ses fournitures vers l’Allemagne et les pays de l’ancien bloc de l’Est (***). Ce qui permettrait de justifier une relance du programme nucléaire français. Là encore, les réseaux suisses constituent la plaque tournante des spéculations commerciales et financières.
Le président du CEPHES qui vient, en sa qualité d’expert indépendant, de remporter coup sur coup trois victoires importantes sur EDF-RTE (****) s’est déclaré disposé à aider les opposants valaisans qui veulent préserver la qualité de leur environnement pour les décennies à venir. Il était déjà intervenu aux côtés du bouillant Franz Weber, en 1987, dans le cadre de l’opposition à la construction de la ligne «Galmiz - Bois Tollot - Verbois » (voir notre site à ce propos). Rappelons qu’à cette époque, les compagnies suisses concernées (EOS et la CVE) avaient fait preuve d’une mauvaise foi plus que regrettable tout en mettant en œuvre des procédés qui étaient loin, très loin, d’être « démocratiques ».
Il est donc à espérer qu’EOS fera preuve, dans les mois et années à venir, d’une plus grande aptitude au dialogue, d’un plus grand respect des principes élémentaires de la démocratie et d’un réel souci de préservation de la santé et de la sécurité des citoyens (dans le cadre de la préservation globale de l’environnement et du cadre de vie).
Sur le plan strictement technique, Daniel Depris rappelle qu’il n’y a strictement rien d’impossible à enfouir une liaison 380/400 kV sur une trentaine de kilomètres, que de nombreux ouvrages de ce type (et bien plus longs) existent de par le monde et que la première liaison souterraine de type EHT (300 à 600 kV) fut réalisée dans la région de Vienne en 1941. Plusieurs solutions techniques sont envisageables, avec des câbles classiques ou en recourant aux installations de type CIG (canalisations à isolation gazeuse). Il sera toutefois nécessaire de procéder à une étude approfondie (et authentiquement indépendante) pour déterminer la (ou les) solution(s) la (ou les) plus adéquate(s) en fonction de la puissance électrique à transporter et de la position de la nouvelle liaison dans le réseau interconnecté.
Affaire à suivre.
(*) Dans « Le secteur électrique européen en 1992 » (238 pages), ouvrage collectif édité par « La Documentation française » (éditeur de l’Etat français). Cadre supérieur d’EDF, Lionel Taccoen dirigeait le lobby français de l’électricité auprès du Parlement européen et des Communautés.
(**) A titre de comparaison, la consommation intérieure finale de la Suisse était de 47,86 TWh en 1994. On comparera utilement ce chiffre avec les 42 TWh qui ont été fournis à l’Italie, en 2001, par la Suisse et la France.
(***) L’Allemagne a considérablement accru ses achats d’électricité à la France depuis la fin des années 90 et surtout depuis l’arrivée des « verts » au pouvoir (entrée de D. Voynet dans le gouvernement Jospin en 1997). Les liaisons directes entre la France et l’Allemagne étant saturées, une partie de ces exportations transite par les réseaux suisses. Par ailleurs, il est extrêmement difficile de déterminer la part des exportations françaises qui transitent par la Suisse, l’Allemagne et l’Autriche à destination des pays de l’ancien bloc de l’Est. A ce jour, seules quelques fournitures à la Hongrie sont apparues dans de rares statistiques. Ces fournitures peuvent aisément être dissimulées mais demeurent actuellement limitées par certaines contraintes techniques (passage par des liaisons « dos à dos » qui protègent les réseaux occidentaux contre l’instabilité en fréquence des réseaux de l’Europe de l’Est).
(****) Il s’agit des interventions de Daniel Depris dans le dossier dit « du Quercy », dans celui de la nouvelle ligne HTB du Gers (Gimont-Samatan) et dans le dossier du Verdon (Boutre-Broc Carros). Dans le premier cas, RTE a abandonné son projet après 12 années d’une lutte acharnée. Dans le second cas, le tribunal administratif de Pau a annulé la DUP du préfet du Gers (pour manque flagrant d’informations en ce qui concerne les effets des champs induits sur la santé). Enfin, dans le cas du Verdon, c’est le Conseil d’Etat qui a prononcé l’annulation de la DUP signée par le ministre de l’Industrie. Dans les trois cas, une bonne part de l’argumentation juridique se fondait sur les rapports établis par le président du CEPHES.
En outre, en 2003, Daniel Depris était intervenu efficacement dans le cadre du débat public organisé à propos du projet transpyrénéen (France-Espagne) qui est bloqué par des opposants depuis près de 20 ans. Il est d’ailleurs le seul expert qui soit intervenu officiellement dans les deux débats publics ayant eu pour objet un projet de ligne 400 kV (en 1998 en région PACA et en 2003 dans les Pyrénées orientales).