Toulouse, le 3 octobre 2002

Le véhicule à air comprimé : à propos d’une « nouveauté »… vieille de plus de 150 ans  et de quelques autres considérations du même ordre.

A l’occasion du salon de l’automobile (et autres engins assimilés), les médias nous présentent une « grande nouveauté », à savoir un petit véhicule urbain fonctionnant à l’air comprimé et qui devrait être commercialisé d’ici deux ou trois ans.

A ce propos, nous nous permettons de faire savoir, à mesdames et messieurs les journalistes (ainsi qu’à toute personne intéressée par le sujet), que le premier véhicule à vocation urbaine ayant été propulsé par un moteur à air comprimé fut conçu en …1839 !

Il s’agissait d’un sorte de petit autorail pouvant transporter huit personnes dont un premier exemplaire fut fabriqué en 1840 à la fonderie de Chaillot. Il fit ses premiers essais le 9 juillet de la même année.

Le dessin que nous reproduisons ci-dessous montre cette automotrice dont la motorisation très simple comportait un réservoir d’air comprimé, un régulateur et un dilatateur. L’air comprimé réchauffé était injecté dans deux cylindres de détente.



L’inventeur de ce procédé était le Français ANDRAUD. Ecologiste avant la lettre, il s’était intéressé à l’accumulation de l’énergie et à l’application, aux transports terrestres, des forces physiques de la nature. On lui doit aussi le « chemin de fer éolien » - ou « chemin de fer à vent » - qui reposait sur le principe d’un tube en tissu caoutchouté posé le long d’un rail central. On y insufflait de l’air comprimé à basse pression qui poussait vers l’avant un système nommé « piston-laminoir », lequel propulsait les wagons. Andraud avait imaginé d’installer des voies suspendues (rappelant le système Palmer) et un modèle réduit de son « wagon éolien » fut testé dans un terrain vague des Champs Elysées (Paris) en 1856.

Si le procédé ne fut pas retenu pour le transport des personnes, il fut retenu pour l’acheminement des courriers urgents et donna naissance aux « pneumatiques ».



Le premier véhicule à air comprimé imaginé par Andraud (dessin de 1839). Le réservoir d’air est monté sous la caisse et l’on remarque la longe bielle qui va du vilebrequin à l’essieu moteur. Ce véhicule pouvait transporter 8 personnes et il aurait fort bien pu être adapté à la route.



Ci-contre, vue générale d’une rame de « train éolien » circulant sur voie suspendue (1846).







C’est en association avec Tessié du Motay qu’il avait réalisé ses premiers modèles de véhicules à air comprimé. Outre, l’automotrice de 1840, il fit aussi rouler, en 1844, une locomotive ayant recours au même mode de propulsion.

Notons cependant que le premier à avoir imaginé une propulsion de type pneumatique fut l’ingénieur anglais Medhurst qui prit, en 1810, un brevet pour le transport des lettres au moyen d’un chariot sur rail relié à un piston mû par une pompe aspirante. En 1824, Vallance avait mis cette idée en pratique et réalisé, à Brighton, un tunnel en bois de 2 mètres de diamètre qui servit à des essais grandeur nature de transport par le procédé Medhurst, lequel fit ses propres essais en 1827 mais sans jamais déboucher sur une réalisation vraiment exploitable.

Il faudra attendre 1835 pour que l’anglais Pinkus construise une ligne de 3 milles exploitant concrètement les idées de Medhurst. Le procédé fut encore perfectionné par Clegg et Samuda qui établirent, entre Kingstown et Dalkey (Irlande) un premier chemin de fer atmosphérique complet et véritablement exploitable. Il fut inauguré le 19 août 1843 mais ne fonctionna jamais régulièrement.

En France, 1.790 .000 francs furent alloués par le gouvernement à la compagnie des chemins de fer de Saint-Germain pour terminer sa ligne atmosphérique. Un tube de 65 cm de diamètre fut ainsi posé sur une longueur de 2,2 km , entre le bois du Vésinet et Saint-Germain. Malgré le succès technique apparent, la tentative se solda par un échec sur la plan financier. La ligne fonctionna fort bien à partir du 14 août 1847 mais elle avait coûté plus de 6 millions de francs de l’époque et ne fut jamais rentabilisée bien qu’ayant été exploitée jusqu’en 1859.



Le procédé Andraud fut, pour sa part, perfectionné et appliqué aux tramways urbains.

C’est en 1879, sur la ligne Doulon-Chantenay (agglomération de Nantes) que la propulsion à air comprimé fut appliquée pour la première fois aux transports vicinaux. En effet, dès 1872, Mekarski avait cherché à transformer une locomotive produite par les ateliers du Creusot. C’est de ce prototype que découlèrent les tramways à air comprimé mis en exploitation en France.



Tramway automoteur à air comprimé de 1876.

Sur le véhicule, on peut lire : « Voiture automobile système Mekarski - Société générale des moteurs à air comprimé ». C’est une voiture de la ligne 1 du réseau nantais.

A Paris, plusieurs lignes utilisaient la motorisation à air comprimé : la ligne Passy-Hôtel de ville, la ligne Montrouge-Gare de l’Est ainsi que celles d’Auteuil et de La Muette. L’air comprimé était stocké à 80 kg/cm² et il s’en consommait un peu moins de 14 kg par kilomètre parcouru. Au bout de 12 km, la pression était encore de 12 kg. Une « bouillotte » permettait de réchauffer l’air car, non réchauffé, l’air comprimé aurait empêché le bon graissage des cylindres. Cette bouillotte consommait 600 grammes de coke par kilomètre.

Le rendement était meilleur avec le système de réchauffage continu qu’avec le procédé initial (réchauffage non continu). L’unité de production de l’air comprimé était installée à Billancourt, en bordure de Seine et des canalisations transportaient l’air jusqu’aux relais et terminus. Les chemins de fer nogentais exploitaient aussi le procédé Mekarski pour leur ligne Vincennes - Ville Evrard.

Le procédé « Popp-Conti » avait recours à des pressions moin élevées qu’en ce qui concerne le procédé Mekarski mais il exigeait de recharger les réservoirs tous les 2 à 3 km et son côut était plus élevé.



Ci-contre, automotrice à air comprimé des tramways parisiens en 1896. Elle utilise le procédé Popp-Conti à basse pression.





L’invention des moteurs à air comprimé et de la propulsion pneumatique est contemporaine de l’invention des premiers véhicules électriques.

C’est en effet vers 1839 que l’Ecossais Robert Davidson imagina de doter un chariot de moteurs électriques permettant de le faire rouler sur une voie ferrée. Ce qui fut fait en 1842. A Versailles, en décembre 1864, les Français Belle et Rouvre présentèrent une « locomotive porte-lettres » à motorisation électrique. De dimension modeste, elle était destinée aux services postaux.



Il y a quelques années, dans un bel article rédigé pour le compte de la revue « Fluvial », Daniel DEPRIS – président européen du CEPHES – avait rappelé, avec force détails et illustrations, que le premier véhicule électrique qui ait transporté effectivement des passagers était la chaloupe à moteur électrique du Pr Herman von Jacobi. C’était en 1834, sur la Néva, en présence du Tsar. Avec son modeste moteur de 1 CV, cette embarcation avait pu remonter le cours du fleuve avec 12 personnes à son bord.

L’ingénieur français G. Trouvé, fit aussi naviguer une barque à moteur électrique sur la Seine lors de l’Exposition de l’Electricité de 1881. Comme il ne manquait pas d’humour, il baptisa cette embarcation « Euréka ». Le moteur qui équipait « Euréka » peut aussi être regardé comme le premier « hors bord » de l’histoire.



Ci-contre, le « gouvernail propulseur » Trouvé qui équipait l’embarcation de 1881.

C’est un véritable « hors-bord » qui peut s’adapter aisément à toute embarcation existante compatible avec sa puissance (moins de 1 CV). On remarque les câbles d’alimentation en courant qui servaient aussi à diriger le bateau en faisant tourner l’ensemble moteur-gouvernail-hélice sur son axe de fixation.

Trouvé utilisait une pile à treuil de son invention. A l’aide d’une manivelle, on pouvait faire monter ou descendre le jeu d’électrodes de cette pile au bichromate lorsqu’elle ne fonctionnait pas. Elle pouvait fournir un débit moyen et constant pendant environ 6 heures.

Des essais faits à Asnières avaient permis de faire atteindre la vitesse de 15 km/h à une barque équipée de cette motorisation. En 1883, un bateau à propulsion électrique avait réussi la traversée de la Manche.



C’est déjà Trouvé qui avait réalisé, en 1881, le premier véhicule électrique terrestre destiné à la route : un tricycle doté de l’un de ses moteurs.

On notera, par ailleurs, que si les premiers véhicules « écologiques » terrestres étaient des engins sur rail, c’est essentiellement parce que les routes étaient généralement en très mauvais état et que les essais, dans les rues des villes, étaient interdits ou soumis à des autorisations très difficiles à obtenir. En fait, la voiture à air comprimé de 1840 aurait parfaitement pu circuler sur route (en la dotant d’une système de direction). Idem pour le chariot de Davidson ou pour le petit locotracteur électrique présenté par Siemens et Halske lors de l’Exposition de Berlin, en 1879 (avec ses wagonnets, il pouvait transporter plus d’une vingtaine de personnes).



Dès le milieu des années 80, les modes de propulsion « non polluants » connurent un très grand développement.

La firme Siemens installa sa première ligne de tramways électriques en 1881 et, dans les toutes dernières années du XIXe siècle, plus de 97% des taxis parisiens étaient des « électromobiles », terme de l’époque qui désignait les véhicules électriques fabriqués par les deux grandes firmes françaises spécialisées dans ce type de véhicule : Krieger et Jeantaud.

Ces taxis étaient des « fiacres » ou des « coupés » mais il existait une très grande variété de véhicules routiers à motorisation électrique, depuis le landau classique tiré par un « avant-train électrique» remplaçant les chevaux jusqu’aux « ducs », « landaulets », « phaétons », « cabs » et autres « vis-à-vis ». Lors du concours des « voitures de place » qui se déroula du 1er au 12 juin 1898 sous l’égide de l’Automobile Club de France, les concurents eurent à parcourir neuf itinéraires urbains de 60 km chacun en terminant par un Paris-Versailles-Paris. Onze électromobiles étaient au départ pour seulement une seule et unique voiture à pétrole (un coupé Peugeot) qui ne fut pas classée à cause de sa consommation jugée trop élevée. A l’issue de ce concours, M. E. Hospitalier devait conclure en ces termes : « Désormais, il est acquis que le fiacre à moteur à essence de pétrole ne saurait constituer un système d’exploitation de voitures publiques dans une grande ville ». Hélas, il en sera tout autrement par la suite !

 



Ci-dessus, à gauche, le constructeur Jeantaud aux commandes de se première voiture électrique, en 1894. A droite, l’une des électromobiles Krieger (ici un coupé) qui participa au concours des voitures de place de 1898. Les batteries de ces véhicules urbains étaient rechargées dans des stations spécialement aménagées à cet effet. On pouvait y échanger les accus épuisés par des accus rechargés et ce, en quelques minutes seulement.

Ci-dessous, le grand-duc Alexis de Russie pose dans son landau tiré par un avant-train électrique Heilmann (1898). Pour la high-society de l’époque, il était du dernier chic de « rouler électrique ».



Les électromobiles étaient très appréciées pour leur confort et leur silence. Elles permettaient aussi de débarrasser les grandes villes des tonnes de crottin de cheval qui polluaient la voie publique et les abords des habitations.

Au tout début du XXe siècle, le constructeur Krieger avait réussi à relier Paris à Châtelleraut avec l’un de ses véhicules, sans recharger ni échanger ses batteries d’accumulateurs. Il fera mieux par la suite sur le trajet Paris-Toulouse. 

C’est une Jeantaud que pilotait le comte de Chasseloup-Laubat dans le duel qui l’opposait au belge Camille Jenatzy pour la possession du record de vitesse. C’est finalement Jenatzy qui l’emporta sur son prototype électrique nommé « La Jamais Contente », première voiture à avoir roulé à plus de 100 km/h (105,85 km/h le 1er mai 1899 sur le circuit d’Achères).




Ci-dessus, le Liégeois Camille JENATZY et sa « Jamais Contente » juste après la victoire du 1er mai 1899. Cette voiture, aujourd’hui conservée au musée de Compiègne (et toujours en parfait état de marche) fut sans nul doute la première à avoir été conçue pour la vitesse pure. Profilée comme un obus, elle était dotée d’une carrosserie en partinium - alliage spécial très léger – réalisée par la carrosserie Rothschild (Rheims et Auscher). Ce fut le premier record du monde de vitesse sur route dûment homologué.



Au début du XXe siècle, la voiture électrique était un véhicule fiable et performant, capable de rouler vite et longtemps avec une seule charge d’accumulateurs.



C’est la découverte de grandes quantités de pétrole dans le sud des Etats-Unis, associée à l’extrême agressivité du capitalisme américain, qui sonnera le glas des véhicules « propres ». Dès les années 1904-1905, les voitures à essence de pétrole produite en grande série par Ford furent proposées sur le marché européen à des prix défiant toute concurrence. Ce fut le début de la fin pour les véhicules électriques routiers et autres engins utilisant d’autres moteurs que les puants et bruyants moteurs à explosion. Les véhicules électriques ne furent plus produits que pour le rail et quelques usages routiers particuliers cependant que le moteur à air comprimé sera relégué aux oubliettes.



Quoi qu’on pense, les Américains du Nord ne nous ont pas apporté le progrès. Dans bien des cas, ils nous ont imposé « leurs » choix dictés par le profit à court terme et la volonté de dominer les marchés industriels et commerciaux.

Depuis le début du XXe siècle, c’est toujours le moteur à gasoil et essence de pétrole qui impose sa loi mais aussi et surtout celle du capitalisme sauvage à l’américaine avec toutes les conséquences que l’on sait, notamment en matière de géopolitique. Les guerres du moyen et du proche orient et la poussée de l’intégrisme islamique figurent parmi les conséquences de cette politique absurde. On sait que si Mr Bush Jr veut absolument en découdre avec l’Irak, c’est UNIQUEMENT pour faire main basse sur les énormes réserves pétrolières de ce pays et pouvoir tourner le dos aux encombrants et dangereux roitelets saoudiens.

Et tout cela parce que les Américains ont développé à outrance le transport routier faisant appel aux moteurs à explosion ainsi que d’autres applications industrielles et domestiques des produits pétroliers ! Tout cela parce que l’ « américain moyen » est incapable de faire 100 mètres sans sa bagnole et de concevoir les notions, pourtant élémentaires, d’économie d’énergie, de protection de l’environnement et de développement durable (sans parler des effets pervers des gaz d’échappement sur la santé des humains et des espèces animales).

MM. Rockfeller et Ford doivent donc être regardés, non comme des bienfaiteurs de l’humanité mais comme de véritables calamités ! Que leurs noms soient honnis et remplacés par ceux des ingénieurs et industriels injustement oubliés dont il vient d’être fait mention dans le présent communiqué.

Il convient par ailleurs que nous réagissions vigoureusement contre les vélléités de domination mondiale qui émanent de cette nation d’aventuriers, de boutiquiers et de bigots que sont les Etats-Unis d’Amérique. Au « Buy American » des Etatsunisiens, répondons par un « Buy European » en boycottant tous les produits made in USA (et pas seulement le coca-cola, Disneyland et les Mac Do). Boycottons également les produits britanniques aussi longtemps que le gouvernement de ce pays se fera le complice de la politique criminelle menée par la Maison Blanche.



A titre indicatif, M. Daniel DEPRIS, président du CEPHES, détient un très grand nombre de documents relatifs à l’histoire des sciences et technologies, à l’histoire de l’électricité, à l’histoire des moyens de locomotion et en particulier aux moyens de transports non polluants. Parmi ces documents, figurent des centaines d’illustrations (dessins et photographies) datant du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle. Ces de cette collection que sont extraits les quelques documents qui illustrent le présent communiqué.

Daniel DEPRIS est l’auteur d’un ouvrage relatif à la voiture électrique qui n’a pas encore été publié et dont le manuscrit sera prochainement réactualisé en vue d’une auto-édition sur CD-Rom.

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