Il y a tout juste 88 ans, un ingénieur français présentait sa dernière invention : un train à lévitation magnétique, ancêtre du « Transrapid » et du « Maglev ».
Dans son édition du 23 mai 1914, le périodique français « LIllustration » faisait état des travaux menés par un ingénieur français nommé BACHELET qui avait travaillé aux Etats-Unis avant de revenir en Europe.
Dans son laboratoire de Londres, il avait présenté lune de ses inventions aux autorités britanniques, parmi lesquelles Sir Winston Churchill, premier lord de lAmirauté. Il sagissait de la maquette dun train qui ne reposait pas sur ses rails et devait pouvoir atteindre la vitesse, inimaginable à lépoque, de 500 km/h. Le principe retenu était celui de la lévitation magnétique, lequel avait notamment été démontré expérimentalement, dès 1888, par Elihu THOMSON, physicien américain qui fondera la compagnie Thomson-Houston (dont découle la Sté française Als-thom, contraction de « Alsacienne » et de « Thomson »).
Linvention de lingénieur Bachelet exploitait le principe de la lévitation en recourant à une voie composée délectro-aimants, cependant que le wagonnet en forme dobus était réalisé en aluminium. Sous leffet du champ magnétique généré par les électro-aimants, il pouvait « flotter » à quelques millimètres au-dessus de la voie. Des solénoïdes en forme danneau étaient espacés régulièrement le long de la voie pour assurer la propulsion (voir photo).
Surnommé « train volant » ou « train-obus » par la presse, le petit prototype de 1914 préfigurait les trains à sustentation (ou lévitation) magnétique actuellement en cours de développement, à savoir le « Transrapid » allemand et le « Maglev » japonais. On notera cependant que les journalistes de lépoque demeuraient sceptiques, celui de « LIllustration » ayant terminé son article en ces termes : « Tout en rendant à lingéniosité de M. Bachelet lhommage quelle mérite, il semble donc permis de considérer son invention comme peu pratique ».
Ce journaliste se fondait sur le fait que le « Comité délectricité » (ancêtre du CTE) français avait, sur la base du rapport dun certain Blondel, décliné loffre qui lui avait été faite, par lingénieur Bachelet, dexploiter son brevet en échange dune simple distinction honorifique. Le dénommé Blondel, que lon nous décrit comme une « autorité mondiale incontestée dans le domaine de lélectricité » (il était ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, membre de lInstitut, etc ) avait, en effet, estimé que linvention de Bachelet ne pourrait jamais être réalisée « grandeur nature ».
Une fois encore, les « autorités incontestées » se trompèrent et, avec elles, les journalistes un peu trop empressés à suivre leurs avis. Les prototypes des Transrapid, des Maglev, et autres trains du même type qui ont été étudiés dans le monde, sont là pour démontrer que Blondel avait tort et que Bachelet avait vu juste. Et pour avoir suivi lavis de celui qui était bardé de titres mais qui avait tort, la France a perdu loccasion dexploiter gratuitement le brevet du train à sustentation ! En Allemagne, un premier prototype a dépassé les 400 km/h dès 1976 tandis quau Japon, un Maglev a « volé » au-dessus de ses rails à plus de 550 km/h !
En fait, le seul problème réel que posent ces trains réside dans le niveau extrêmement élevé de flux magnétique quil faut mettre en uvre pour maintenir les rames en état de lévitation. Selon leur poids, des densités de flux de 2 à 5 teslas peuvent être nécessaires. Or, de telles valeurs sont tout bonnement « colossales » et mettraient en grand danger la vie des personnels de bord et des voyageurs. Pour mémoire, les effets nocifs des champs magnétiques alternatifs se manifestent dès que lon dépasse le seuil de 0,2 microtesla, autrement dit, deux dixièmes de millionième de tesla. Un champ de 2 teslas est 20 millions de fois supérieur à cette valeur-seuil ! Ce problème est très difficile à résoudre car, pour confiner de tels champs magnétiques, il faut recourir à des blindages spéciaux, très chers et qui alourdissent la rame. Or, si lon alourdit la rame, il faut un champ magnétique plus puissant pour la soulever ! La sagesse voudrait donc que lon renonce à la mise en service des trains à sustentation magnétique mais les sommes qui ont été investies dans la recherche et le développement de cette technologie sont si importantes que les investisseurs refusent dadmettre la réalité du problème et persistent à vouloir rentabiliser leurs deniers.
Quoi quil en soit, le train à lévitation magnétique na été inventé, ni par des Américains (on cite souvent les noms de Robert Goddard et de Franck Davidson), ni par le japonais Yoshihiro Kyotani. Il a été inventé, entre 1912 et 1914 par le français Bachelet. Il navait pas voulu faire fortune avec son invention. Il ne demandait quune médaille. Elle lui fut refusée et, par la suite, son invention fut attribuée à dautres. Son nom ne dit plus rien à personne et cest la raison pour laquelle le présent communiqué a été rédigé. Pour rendre à Bachelet ce qui appartient à Bachelet.
Dans le même état desprit, nous nous élevons contre le chauvinisme navrant dont a fait preuve la chaîne de télévision « Arte » lors dune récente émission consacrée à lélectricité. A en croire les auteurs de lun des reportages diffusé dans cette émission, ce serait lingénieur allemand Werner Von Siemens qui aurait inventé la dynamo. Et pourtant nous savons que la dynamo a été inventé par lautodidacte belge Zénobe Gramme qui perfectionna lanneau du professeur italien Paccinoti. Ce nest pas parce que « Arte » est co-financée par lAllemagne quil faut imputer aux Allemands toutes les grandes innovations technologiques. Un peu de modestie et dhonnêteté intellectuelle na jamais fait de tort à personne !
Et pour démontrer que nous sommes plus honnêtes que les « journalistes » de chez « Arte », nous mentionnerons le fait que cest en 1930 quun train « à grande vitesse » assez remarquable fut présenté à Hanovre. Il sagissait du « Schienen-Zeppelin » ou « Zeppelin sur rails ». Propulsée par un moteur BMW de 500 CV, cette rame, qui rappelle étrangement la partie avant des premiers « Shinkansen » japonais, avait 26 mètres de long et pouvait emporter 50 passagers. A pleine charge, elle atteignait la vitesse de 180 km/h malgré sa faible motorisation. Depuis 1903, une rame automotrice Siemens à moteur triphasé avait roulé à 210 km/h, mais elle était nettement plus petite que le prototype développé par la firme Zeppelin, lequel peut être considéré comme le premier « TGV » de lhistoire du rail. Notons cependant quil aura fallut plus dun demi-siècle pour détrôner le record de vitesse détenu par Siemens. Ce nest quen 1955 quune locomotive française de type CC (la 7107) parvint à dépasser les 300 km/h (331 km/h très exactement) en tractant trois wagons. Si lon excepte le wagonnet électrique de lEcossais Davidson (vers 1838) et le petit locotracteur de démonstration de Siemens et Halske (1879), la première véritable locomotive électrique est sans nul doute celle qui fut construite par Léo Daft en 1882. Elle avait été baptisée du nom dAndré-Marie Ampère.
Comme lItalien Marconi, Siemens na pas inventé grand-chose mais il fut un remarquable ingénieur de développement. Lindustrie européenne lui est redevable de pas mal de choses mais ce nest pas une raison pour lui attribuer les inventions faites par dautres.
Remarquons, enfin, que nombreuses furent les inventions qui furent décriées ou sabordées sans avoir été exploitées à leur juste valeur. Dans le domaine des transports, la voiture électrique était au point bien avant la polluante et bruyante voiture à pétrole (puis à essence de pétrole). De même, les excellents « gyrobus » (bus électriques à accumulation dénergie par gyroscope) fabriqués en Belgique et en Suisse dans le courant des années 50 (par les ACEC et Oerlikon) ne parvinrent pas à simposer et tombèrent dans loubli.
DD
Ci-dessous, une photographie de 1914 représentant le circuit dessai que Bachelet avait installé dans son laboratoire de Londres. On voit le « train-obus » qui traverse lun des solénoïdes assurant la propulsion et les électroaimants qui constituent la voie et le système de sustentation. Dans un premier temps, lingénieur français avait pensé utiliser ce petit train pour le transport rapide du courrier ou des petits colis.
Ci-dessous, la rame Zeppelin en essais près de Hanovre en 1930. La ressemblance avec le Shinkansen japonais est troublante et tout porte à croire que les ingénieurs nippons se sont inspirés de ce prototype lorsquils conçurent leur train à grande vitesse dans le courant des années 50. La propulsion était assurée à larrière par une hélice quadripale. Avec un moteur de 1.000 CV, cette rame aurait pu rouler à plus de 220 km/h et battre le record de vitesse détenu par la motrice Siemens. Cependant larrivée au pouvoir du parti nazi mit fin aux essais. Hitler sintéressait aux chars dassaut et aux bombardiers, pas aux trains. Le principe de la propulsion par hélice fut reprise en France dans les années 60 puis abandonnée (aérotrain Bertin sur coussin dair). En France, le premier TGV (001) était une rame autonome qui fabriquait elle-même son électricité grâce à deux turbines à gaz (comme les rames RTG et TGS du réseau de Normandie). Le record de vitesse détenu par un TGV français est purement théorique. Il a été obtenu avec une rame allégée et modifiée circulant sur une voie dont les caténaires avaient été tendus à lextrême. Ce record est sans intérêt sur le plan de lexploitation « normale » où la vitesse de 300 km/h constitue un plafond qui peut difficilement être dépassé compte tenu de la distance entre les gares où les trains doivent sarrêter. les vitesses supérieures à 300 km/h ne sont exploitables que sur de très grandes lignes où les distances entre arrêts dépassent les 250 km. Pour un train circulant à 500 km/h, il faudrait que les distances entre arrêts soit dau moins 400 km. Il faut aussi considérer que la consommation en énergie augmente comme le cube de la vitesse. Un train roulant à 400 km/h consommera 8 fois plus dénergie quun autre qui roule à 200 km/h.
Pour en savoir plus : voir les articles et les ouvrages que Daniel DEPRIS a consacrés à la propulsion et à la traction électrique, notamment dans le domaine fluvial (de 1834 à nos jours, article paru dans la revue « Fluvial ») et dans celui des transports terrestres (étude consacrée à la voiture électrique, des origines à nos jours). Le service de documentation du CEPHES détient, par ailleurs, de nombreux ouvrages consacrés aux transports (dont plusieurs livres datant de la fin du XIXe siècle et du début du XXe).
Pour plus de renseignements, vous pouvez visiter notre site Internet http://depris.cephes.free.frou nous appeler au (00 33) 06.61.99.83.05. Vous pouvez aussi nous écrire à l’adresse suivante : CEPHES – 55 avenue Louis Breguet – Bât.7 – Bureau 36 F 31400 TOULOUSE ( France). |
![]() |