LA LIBERTE

JEUDI 14 DÉCEMBRE 2006

Un « merdier » belge guère enviable

MARCHÉ DE L'ÉLECTRICITÉ

Depuis la libéralisation, effective depuis deux ans et demi, la Belgique vît une jungle des tarifs. Les abus sont fréquents, observe un spécialiste.

PROPOS RECUEILLIS PAR ERIC DOUREL

Pimpant sexagénaire, Daniel Depris est le pionnier de la lutte contre les nuisances physiques de l'environnement et un spécialiste incontesté des pollutions imputables aux rayonnements non ionisants, aux infrasons et aux ultrasons. Président du Comité européen pour la protection de l'habitat, de l'environnement et de la santé (CEPHES), ce consultant indépendant intervient en France, Italie, Espagne et Suisse. Des associations de citoyens le sollicitent pour analyser et disséquer des projets d'implantation de lignes électriques à très hautes tensions, d'émetteurs hertziens, de relais de téléphones portables. Véritable bête noire d'EDF, Daniel Depris est retourné dans sa Belgique natale où il a assisté à la libéralisation du marché de l'électricité.

Son analyse.

Le Conseil national suisse veut accélérer l'ouverture du marché de l'électricité en autorisant les PME à se regrouper pour profiter immédiatement de la libéralisation prévue-Un bon plan?

Les Suisses ne doivent surtout pas répéter es erreurs belges

DANIEL DEPRIS

Etant donné la multitude d'opérateurs historiques, je ne vois pas l'intérêt que ces derniers vont en tirer, si ce n'est qu'au final, ils se retrouveront dans une situation identique à celle de la Belgique. Et je vous garantis que ce n'est pas enviable.

Pour quelles raisons?

Voilà un peu plus de deux ans et demi, suite aux recommandations de l'Union Européenne, la Belgique s'est lancée dans une libéralisation de son marché de l'électricité, tant en Flandre, qu'en Wallonie. Les premiers concernés ont d'abord été les clients éligibles, c'est-à-dire les gros consommateurs d'énergie que sont les industriels. Puis, cela a été au tour des administrations et des PME-PMI. Enfin aujourd'hui, nous abordons la dernière phase, celle de l'ouverture aux particuliers. Et là, passez-moi l'expression, cela devient un véritable merdier. Le nombre d'opérateurs s'est démultiplié, car très rapidement des sociétés ont vu qu'elles pouvaient tirer profit de la situation. Elles se sont donc mises à acheter des kilowatts ou des mégawatts pour les revendre dans la foulée. Les consommateurs, totalement perdus dans cette jungle de tarifs, se font assaillir par ces nouveaux opérateurs. Il faut savoir que désormais en Belgique, on se fait même racoler à la sortie des supermarchés. Et les abus sont fréquents. Entre certains clients qui signent des contrats sans les lire et des sociétés qui se constituent un portefeuille d'usagers en reprenant des noms sur des boîtes aux lettres, on en arrive à des situations hallucinantes. Pas une semaine ne passe sans que ces abus ne soient dénoncés dans la presse. Rien qu'en Wallonie, on dénombre actuellement quelque 800 plaintes de particuliers. Et ce n'est pas fini...

N'empêche qu'au final, le consommateur va s'y retrouver au niveau des tarifs de l'électricité, non?

Pas du tout. J'ai même de nombreuses études qui démontrent qu'on va arriver très prochainement à une hausse des tarifs. D'ailleurs, c'est déjà le cas pour certains usagers. J'écoutais, voilà quelques jours une auditrice à la radio, qui expliquait qu'on lui avait proposé un contrat 30% moins cher que l'opérateur historique Electrabel et au final, elle paie le double. La raison : la péréquation n'existe plus dans ce pays. Un client qui est à Bruxelles paiera désormais moins cher qu'un autre qui est à Bastogne. Auparavant le transport de l'électricité dans des régions isolées, était absorbé par un système de péréquation qui calculait une moyenne nationale du tarif de l'énergie pour desservir tout le territoire. Désormais, cela n'existe plus.

Quels conseils préconisez-vous aux consommateurs suisses?

L'électricité, à l'instar de l'eau, n'est pas un marché comme les autres. On ne peut pas le mettre entre les mains de marchands sans scrupules. Il faut que les cantons et communes continuent à jouer un rôle dans la possession et l'exploitation des réseaux. Il faut opter pour un système d'approvisionnement garanti. En Belgique, nous sommes coincés, nous n'avons aucune porte de sortie. En Suisse, il reste un espoir.

ENJEU CONTROVERSE EN SUISSE

Pragmatiques dévoués au tissu de base de l'économie ou idéologues démagogues, les partisans de l'ouverture accélérée du marché de l'électricité? Très politisé, le débat est aussi très polarisé, ce qui laisse augurer d'une campagne musclée avant le vote populaire sur le très probable référendum. Pressée, une majorité du Conseil national jette le compromis initial aux orties et offre tout de suite un sésame aux PME. Mais ces députés se sont-ils seulement demandé ce qu'en pensent ces mêmes PME? «Nous produisons notre propre électricité donc nous ne sommes pas vraiment concernés», répond tel patron de scierie gruérien ne. On raconte aussi que tel autre, pourtant issu des rangs des purs et durs de la privatisation, affiche en privé une indifférence crasse face à l'enjeu. «A se demander si une déculottée devant le peuple n'arrangerait pas finalement les fossoyeurs du compromis», commente un politicien de gauche. PDG de l'entreprise sous-traitante d'Airbus Maxwell Technologies, PME de 150 employés basée à Rossens et grosse consommatrice d'électricité, Alain Riedo est moins négatif. «Le débat est important car nous voulons que notre fournisseur soit mis en concurrence corn me le sont tous nos fournisseurs.» Mais il ne va pas jusqu'à désavouer son fournisseur qu'il estime devoir être le garant de la qualité de l'approvisionnement. «A cet égard, je pense que le Groupe Eest bien placé.» De quoi rassurer ce producteur et distributeur de courant électrique quia fait et continuera défaire la pluie et le beau temps en territoire fribourgo-neuchâtelois... pour autant qu'un mastodonte ne lui joue pas de mauvais tours.

Interrogée par «La Liberté», la porte-parole du commerçant Migros, un client versatile au point qu'il délaissa en son temps l'électricien Watt pour les ex-EEF, déclarait hier ce qui suit: «Si la libéralisation du marché de l'électricité lui apporte des avantages en termes de prix, Migros ne manquera pas de saisir la possibilité d'examiner d'autres offres, voire d'acheter du courant par le biais de la Bourse.»

CHRISTIAN CAMPICHE

Ce qui n'existe plus en Belgique: un transport de l'électricité assuré dans les régions isolées grâce à un système de péréquation calculant une moyenne nationale des tarifs.
Alain wicht-a

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