Les autodidactes et la science
par Daniel DEPRIS

plaque sur laquelle figure la mention suivante :
« Le jeune André-Marie AMPERE n’est jamais allé à l’école : guidé par son père, il s’est instruit lui-même à Poleymieux »

Lorsque l’on visite le magnifique musée de l’électricité qui a été aménagé dans la propriété qu’André-Marie Ampère possédait à Poleymieux -aux pieds des Monts d’Or et à quelques lieues de Lyon - on remarque, dans la salle consacrée à l’illustre savant et à sa famille, une plaque sur laquelle figure la mention suivante :
« Le jeune André-Marie AMPERE n’est jamais allé à l’école : guidé par son père, il s’est instruit lui-même à Poleymieux ».
Et c’est vrai.

L’homme dont le nom est universellement connu ; celui-là même qui a donné son nom à plusieurs unités fondamentales de l’électricité et de l’électromagnétisme ; le génie des mathématiques, de la chimie et de la physique qui enseignera les mathématiques analytiques à l’école polytechnique, qui sera membre de l’Académie des Sciences et de nombreuses sociétés savantes ; cet homme-là était un parfait autodidacte !

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Portrait d’André-Marie Ampère. Né en 1775, il a environ 30 ans lorsque cette lithographie est réalisée. Dès l’âge de 27 ans, il enseigne les mathématiques, la chimie et la physique à Lyon. A 33 ans, il est nommé Inspecteur-Général de l’Univer-sité et en 1809, il est professeur titulaire à l’Ecole poly-technique.

Ampère n’avait que 13 ans quand il avait rédigé son premier livre : un traité des sections coniques dû à sa seule inspiration. Son dernier ouvrage fut une monumentale « Classification des Sciences » dont la publication fut achevée par son fils.

L’œuvre scientifique d’Ampère est sans doute l’une des plus vastes qui ait été produite par un autodidacte. En chimie, il eut des vues profondes sur la structure atomique de la matière et il fut le précurseur de la théorie d’Avogadro (Loi d’Avogadro-Ampère). Mais c’est au domaine de l’étude des phénomènes liés à l’électromagnétisme que son nom est le plus intimement lié. Il fut par ailleurs convaincu de l’existence de « courants particulaires » au sein même des atomes, hypothèse qui ne sera confirmée qu’un siècle après sa mort, laquelle survint à Marseille le 10 juin 1836.

Passionné de philosophie, ce disciple de Rousseau et des encyclopédistes essayera toute sa vie de trouver la voie du bonheur par l’amélioration de l’homme. C’est ce qu’il nommait la « science de la Félicité Publique ». Et pourtant sa vie privée ne fut qu’une suite de malheurs et de désenchantements.

Le domaine des sciences physiques en général et de l’électromagnétisme en particulier est d’ailleurs le secteur d’activités qui a la plus grande dette vis-à-vis des autodidactes.

Dès le tout début du XIXe siècle, Humphry DAVY sera l’un des premiers à se faire remarquer. Il a presque le même âge qu’Ampère (il est né en 1778) et sa mère, qui est veuve, le place comme aide-apprenti chez un pharmacien. Encouragé par l’un des fils du célèbre Watt, il adresse plusieurs mémoires au Dr Thomas Beddoes pour le recueil scientifique qu’il s’apprête à publier. Impressionné Beddoes l’appelle auprès de lui dans son établissement qui traite les maladies du poumon. C’est là, en 1800, qu’il découvre l’action « exhilarante » du protoxyde d’azote et qu’il fait des expériences relatives aux actions physiologiques de la vapeur du charbon. En 1801, Davy fabrique une pile électrique puissante dont la conception diffère de celle de Volta. C’est avec une version améliorée de cette pile qu’il alimentera la première lampe électrique de l’histoire, le fameux « œuf de Davy ».

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Humphry DAVY et son « œuf », ancêtre de tous les éclairages électriques. Il s’agissait de la toute première lampe à arc. Elle était constituée d’une ampoule fermée et vidée de son air, principe qui sera repris par Swan et Edison pour la mise au point des lampes à incandescence (d’après L. Figuier – Les merveilles de la science – 1868).

Davy deviendra correspon-dant de l’Académie des Sciences en 1813 et il sera anobli par la Couronne d’Angleterre. Sa veuve a fondé un prix de chimie qui est décerné tous les deux ans à Genève.

A l’instar d’Ampère, Davy était un encyclopédiste. Comme chimiste, on lui doit d’avoir prouvé que le chlore était un corps simple et d’avoir démontré l’inexactitude de la théorie de Lavoisier sur la formation des acides. Il a aussi découvert le potassium et le sodium. C’est lui qui a formulée l’idée, hardie à son époque, selon laquelle « …l’affinité chimique n’est autre que l’énergie des pouvoirs électriques opposés… ».

Il est l’inventeur d’une lampe de sûreté pour mineurs et il s’est intéressé de très près à l’histoire, à l’archéologie et aux sciences naturelles.

Davy aura pour élève un autre autodidacte de génie. Il s’agit d’un jeune garçon nommé Michael FARADAY, né près de Londres en 1791. Il n’avait reçu aucune instruction mais Davy remarque sa grande intelligence et l’engage comme aide-préparateur en 1813. Il l’emmènera avec lui lors de ses voyages en Italie et en France. C’est à cette époque qu’il rencontre Ampère et qu’il se lie d’amitié avec lui.

Bien qu’ayant été initié à la chimie par Davy, c’est dans le domaine de l’électricité et de l’électromagnétisme que Faraday fera ses découvertes les plus importantes et ce, dès 1821. Se basant sur les travaux d’Oersted, il démontre l’action exercée par un aimant sur un courant électrique et, avec Ampère, il jette les bases de la théorie des courants induits et de l’électromagnétisme. Puis il énonce un principe qui sera appelé « principe de Faraday ». Il est à la base de la technique de l’électrolyse. Comme Ampère, il a donné son nom a une unité fondamentale de la physique (le farad).

Les deux dernières découvertes scientifiques de Faraday auront trait à l’action des aimants sur la lumière polarisée et au diamagnétisme. En chimie, il a mis au point les procédés de liquéfaction de l’acide carbonique, du protoxyde d’azote, du chlore et de divers autres gaz. Comme Ampère, il s’est également intéressé à la philosophie.

Faraday eut à son tour pour élève un jeune écossais nommé James Clerk MAXWELL (né en 1831) qui deviendra professeur au prestigieux King’s College de Londres et qui sera l’auteur des lois qui portent son nom. Formulées vers 1865 dans un mémoire destiné à la Royal Society, les lois de Maxwell constituent, avec celles d’Ampère et de Faraday, les clefs fondamentales de la théorie générale de l’électromagnétisme.

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Le maître et l’élève.

A gauche, Michael FARADAY (1791-1867).

A droite, James MAXWELL (1831-1879).

Tous deux furent des disciples de Davy.

Né à Hanovre en 1803, Henrich-Daniel RUHMKORFF fut également un brillant autodidacte. Il avait débuté comme apprenti chez plusieurs fabricants parisiens d’instruments de précision (notamment chez Chevalier). Il finira par fonder sa propre entreprise, laquelle se spécialisera dans les appareils de physique (instruments électromagnétiques, galvanomètres, appareils d’induction,…). En 1851, il imagina de produire des courants induits dans une bobine spéciale à laquelle il donnera son nom et qui vaudra, à cet ancien ouvrier mécanicien, de recevoir le prix de 50.000 francs institué, en 1855, pour récompenser la machine électrique la plus utile.

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Modèle primitif de la bobine de Ruhmkorff , dit « petit modèle », avec interrupteur à trembleur. Il existait aussi un « grand modèle » avec interrupteur à contrepoids.

Ruhmkorff s’est éteint à Paris en 1878.

Les étincelles produites par cette bobine ont notamment été utilisées pour produire des effets lumineux.

Associée au tube de Crookes, elle a permis de produire les premiers rayons X. Elle a aussi été employée dans le domaine de la télégraphie sans fil et pour de nombreuses autres applications.

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Toujours dans le domaine de l’électricité, il faut mentionner le nom de Zénobe GRAMME, cet ouvrier menuisier (il était spécialisé dans la fabrication de rampes d’escalier) qui se passionna pour les nouvelles technologies de son époque et mit au point les premières dynamos industrielles ainsi que les moteurs électriques modernes.

Gramme était né à Jehay-Bodegnée, près de Liège, en 1826. Comme Rhumkorff, il finira sa brillante carrière en France où il développera une entreprise en collaboration avec l’ingénieur français Marcel Deprez. C’est vers 1867 que Zénobe Gramme aura l’idée d’améliorer le moteur imaginé, en 1861, par le Pr Antonio Pacinotti, un physicien de l’université de Pise. Petite machine expérimentale, ce moteur était le premier a être doté d’un induit bobiné en forme d’anneau. Gramme reprendra le même principe pour développer ses différentes machines industrielles.

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La première machine de Zénobe Gramme met en œuvre le principe imaginé par Pacinotti.

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La machine Gramme, dite « ordinaire », qui se distinguait du « grand modèle ».

Fabriquée à partir de 1870, elle pouvait, comme toutes les >machines à courant continu, servir de génératrice ou de moteur.

Lors de l’Exposition de Vienne de 1873, une machine de ce type produisit l’électricité qui faisait tourner une autre machine utilisée comme moteur à 500 mètres de distance. Ce fut l’une des premières tentatives de transport d’électricité.

C’est Marcel Deprez, associé de Gramme, qui mit au point les premières lignes de tran>sport et de distribution d’électricité

Parmi les nombreux autodidactes qui permirent le développement industriel de l’électricité et de l’électromagnétisme, il ne faut surtout pas oublier Thomas-Alva EDISON, l’homme aux 1.000 brevets (1.093 exactement).

Ses inventions furent si nombreuses que l’on ne pourrait les citer toutes dans un seul article. On connaît surtout son appareil enregistreur de sons sur rouleaux de cire, son accumulateur fer-nickel (puis cadmium-nickel), ses nombreux modèles de dynamos à courant continu et sa célèbre lampe à incandescence (inventée en même temps que celle de Sir Joseph Wilson Swan).

Edison avait commencé sa brillante carrière de self-made-man en cirant les bottes, en vendant des journaux puis en imprimant lui-même un petit journal qu’il vendait dans les trains. C’est le type même de l’autodidacte à l’américaine. Jusqu’à la fin de sa vie, il s’imposa des horaires de travail rigoureux et il pointa sa carte comme un simple ouvrier, pour montrer l’exemple à son personnel.

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Ci-contre, notes manuscrites d’Edison pour la fourniture de 100 lampes électriques destinées à l’éclairage du navire « Columbia » ( 20 septembre 1880).

C’est le 21 octobre 1879 qu’Edison était parvenu à faire fonctionner correctement une lampe à incandescence. Le principe était déjà connu en 1840 et, dès 1844, le Français de Changy avait tenté de mettre au point ce type de lampe. Mais c’est Edison qui, à force de persévérance, parvint à développer un mode de fabrication convenable de filaments à la fois minces et résistants. La veille du jour de l’an 1880, Edison fit la première démonstration de sa lampe dans son laboratoire de Menlo Park où 60 ampoules avaient été montées sur des mâts.

L’histoire de l’éclairage électrique fut donc une affaire d’autodidactes. Elle avait débuté avec Davy et elle atteignit son point culminant avec Edison.

Le chimiste britannique Swan, qui travaillait sur la lampe à incandescence depuis 1860, ne déposa son brevet qu’en novembre 1879, quelques jours après Edison. Il fut battu d’une courte tête par l’Américain.

Edison décéda le 18 octobre 1931, trois jours avant l’anniversaire historique. Descendant de colons hollandais, il était né le 11 février 1847, dans une petite ville nommée Milan (Ohio).

Sa première grande invention, le télégraphe duplex, remontait à 1864. En 1877, il présenta un « micro-téléphone » qui permit le dévelop-pement pratique du téléphone de Bell. En 1878, il développe son phono-graphe et imagine le « mégaphone ». Et en 1880, il inventa un câble élec-trique à guipage imprégné d’huile.

On lui dit aussi le « kinescope » (1894), la batterie fer-nickel (1914) ainsi que des améliorations des moteurs à benzol et à gaz carbonique liquide.

Sa firme fut à l’origine de l’électrification des grandes villes américaines. Elle fabriqua un grand nombre de dynamos, d’alternateurs et de moteurs électriques. Chimiste à ses heures, Edison étudia la préparation des colorants d’aniline à partir du nitrobenzène. Notons enfin, qu’il découvrit un effet électronique qui porte son nom (effet Edison) et qui sera à la base de toute l’électronique moderne.

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Thomas-Alva EDISON en octobre 1929, au moment où l’on célèbre le cinquantième anniversaire de sa lampe. Malgré son grand âge, il travaillait encore très régulièrement.

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Dynamo Edison premier type (à gauche) et son développement de 1889 (à droite). Edison était partisan du courant continu et ne s’intéressa que tardivement aux courants alternatifs.

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Dynamo Edison qui fut utilisée pour la première électrification de la ville de New-York, en 1881. Ce modèle compound était nommé « grande machine ». C’était l’une des dynamos parmi les plus puissantes de son époque.

En 1883, Edison avait fait breveter un système de transport de l’électricité à trois fils qui est toujours en usage de nos jours.

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Ci-contre, la diode expérimentale qui permit à Edison de découvrir l‘effet qui porte son nom. Il consiste en un flux d’électrons à sens unique allant du filament à la plaque. Cet effet est à la base de tous les tubes électroniques qui seront développés par la suite, dont la triode amplificatrice de Lee de Forest.

Edison fut un businessman redoutable qui sut s’entourer des meilleurs ingénieurs de son époque pour exploiter et développer ses idées. Il sacrifia sa vie privée à son amour immodéré pour l’expérimentation et la recherche.

Pour beaucoup d’Américains, il personnifie le mythe de l’American Way of Life », un mythe qui se concrétise rarement dans la réalité car, sur des centaines de millions de citoyens des States, une poignée seulement est parvenue à se hisser au sommet par la seule force de l’imagination et du travail. Les autres restent de simples jouets dans les mains du grand capitalisme et de l’establishment.

Il en va de même partout ailleurs. Le XIXe siècle, siècle d’inventions et de développement rapide des techniques, fut une aubaine pour les autodidactes. C’est la raison pour laquelle les grands autodidactes scientifiques firent, pour la plupart, leur apparition entre 1800 et 1900.

La contribution de ces autodidactes au développement de la science et de la technique s’avéra aussi importante que celle des « savants » et des ingénieurs de leur époque (Volta, Oersted, Tesla, Siemens,…). Dans certains domaines particuliers, elle fut même parfois bien plus considérable.

Aujourd’hui encore, des autodidactes jouent un rôle essentiel dans différents domaines scientifiques. C’est le cas dans le secteur des nuisances physiques de l’environnement et notamment dans celui des pollutions imputables aux rayonnements électromagnétiques non ionisants. Il s’agit là d’un secteur de l’activité scientifique qui ne fait l’objet d’aucun enseignement particulier, du moins en Europe occidentale. On ne peut donc l’aborder que par des études menées à titre personnel et en-dehors des circuits classiques de l’enseignement universitaire.

On notera encore que, dans quantité d’autres domaines de l’activité scientifique et technologique, des autodidactes ont été à l’origine de découvertes fondamentales. C’est ainsi que la théorie de la tectonique des plaques, aujourd’hui admise par l’ensemble de la communauté scientifique, a été imaginée et démontrée, non par un géologue ou un géophysicien, mais par un météorologiste.

Plus récemment, et dans le domaine de l’histoire, c’est un ancien banquier qui a réussi à prouver que la civilisation des Mayas avait périclité à la suite d’une période de sécheresse qui avait entraîné l’extermination d’une bonne partie de la population et, par voie de conséquence, l’abandon des grandes cités mayas du Mexique et du Guatémala.

Ces quelques exemples, anciens ou récents, démontrent que si les diplômes sont utiles – et souvent indispensables – il existera toujours une race particulière de chercheurs de très haut niveau qui peuvent s’affranchir plus ou moins totalement des méthodes d’enseignement traditionnelles. Capables de s’auto-instruire, ils peuvent parfois s’élever jusqu’aux plus hauts échelons de l’édifice scientifique et être finalement reconnus et appréciés pour la qualité et l’importance de leurs travaux. Ils sont un exemple pour une jeunesse qui manque de repères et qui, bien souvent, se plaint, à tort ou à raison, du système éducatif qui leur est proposé.

Daniel DEPRIS

Les autodidactes et la science par Daniel DEPRIS
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