Etudes Expérimentales Portant sur les
Actions Biologiques des Radio-Fréquences
B. Veyret, ENSCPB, Université de Bordeaux I, 33405 Talence
I- Introduction
Cet exposé fait le point sur les études expérimentales concernant les effets biologiques des radio-fréquences. La gamme considérée s'étend depuis les ondes décamétriques jusqu'aux millimétriques (10 MHz-100 GHz). L'aspect proprement hyperthermique pourtant largement-utilisé en thérapeutique n'est pas développé ici. Par contre les effets spécifiques des radio-fréquences sont discutés à la lumière des résultats récents.
Ce type de recherche remonte aux temps héroïques de d'Arsonval (1890). L'avènement du radar, lors de la dernière guerre, a provoqué un développement rapide des recherches qui se sont ensuite lentement ralenties pour laisser la place à d'autres types d'études en bioélectromagnétisme, liées aux très basses fréquences (50-60 Hz).
Les pays les plus actifs dans ce domaine sont incontestablement les USA et l'URSS. En France les laboratoires militaires s'y sont longtemps intéressés mais ont cessé depuis une dizaine d'années leurs recherches expérimentales. Les éléments d'information présentés dans cet exposé proviennent de documents bibliographiques (livres, journaux scientifiques, rapports), de compte-rendus de congrès et de visites de laboratoire (USA, URSS, Italie). Les expériences décrites ont été effectuées dans des laboratoires universitaires ou hospitaliers mais pas dans le cadre clinique.
Les expériences de laboratoire effectuées dans le monde peuvent être classées dans trois classes distinctes correspondant aux motivations essentielles des recherches : le fondamental, l'environnement et la thérapeutique.
- la recherche de base sur les mécanismes des effets des radio-fréquences sur la matière vivante est encore à ses débuts. Des progrès importants sont à attendre de l'observation des effets eux-même et dans une meilleure compréhension des processus biologiques concernés.
- les radio-fréquences sont présentes dans notre environnement domestique ou professionel avec des niveaux et des caractéristiques très diverses. Les principales sources sont les émetteurs radio, télévision et radar d'une part , les fours à micro-ondes d'autre part.
- les applications thérapeutiques sont déjà
nombreuses et font généralement appel aux fréquences
assignées : 27, 2450 MHz, etc...
En laboratoire, différents types de signaux ou de modulations sont utilisés:
- ondes continues (une seule fréquence et une amplitude constante: CW, continuous wave),
- ondes pulsées (par exemple radar, caractérisées par la durée des puises et le taux de récurrence : PW, pulsed wave),
- ondes modulées en amplitude (AM) ou en fréquence (FM)
et toutes combinaisons de ces signaux (ex: radars d'avions de chasse).
Dans tous les cas, la réalisation des expériences de laboratoire nécessite une caractérisation très soignée des paramètres physiques (dosimétrie, topographie, mesure de puissance moyenne, mesure du SAR, évaluation du nombre des paramètres et du choix de leurs variations, etc...). Les protocoles biologiques doivent être choisis de façon à permettre d'obtenir des résultats informatifs et reproductibles. La publication des résultats doit être telle qu'elle permette une réplication exacte des expériences aux niveaux physiques et biologiques. L'expérience a montré dans la littérature scientifique que cet objectif était rarement atteint.
II- Etudes de recherche fondamentale
Ce qui caractérise les différentes études effectuées est la très grande diversité des conditions expérimentales : un grand nombre de modèles biologiques distincts associé à des expositions physiques variées conduisent à un nombre important d'expériences différentes sans que chacune ait été reproduite dans plusieurs laboratoires. Toute description des observations paraît donc décousue et manquant de confirmations. Cette situation défavorable est en train de changer progressivement.
II-1. Etudes des mécanismes d'interaction
II-1.1. Mesures diélectriques sur des tissus
II existe actuellement un renouveau des études diélectriques de matériaux biologiques tels que les acides nucléiques, membranes et cellules. Le comportement de l'eau liée est primordial dans l'interaction entre onde et matière. Les techniques modernes de mesures diélectriques permettent d'affiner la mesure des contributions des différents constituants. Ainsi Cleary aux USA a mesuré les propriétés diélectriques de cellules en culture et montré qu'elles varient en fonction de la phase dans le cycle cellulaire et de la fréquence de l'onde.
II-1.2 Effets sur les membranes et autres modèles physico-chimiques
Krause et coll. (DC, USA) étudient l'effet d'une exposition micro-onde sur l'activité de l'enzyme ornithine décarboxylase dans des cellules de lymphomes L929 (915 MHz, AM 80 % à 60 Hz, SAR = 3 W/kg). Une augmentation d'un facteur 4 est observée après 8 h d'exposition. Les fréquences de modulation de 6, 600, 55 et 65 Hz ne sont pas actives.
Le relargage de protéines membranaires est étudié par Alekseiev et coll. (Puschino, URSS). Sous l'action des micro-ondes (CW, SAR > 5 W/kg), des protéines relargables telles que le récepteur de l'épithélium olfactif, s'échappent de la membrane à la suite d'un processus d'oxydation. Les micro-ondes semblent augmenter de façon considérable un phénomène préexistant.
L'un des phénomènes les plus étudiés en bioélectromagnétisme est l'efflux d'ions calcium à partir de tissu cérébral ou de cellules en culture, provoqué par l'exposition à des champs électriques ou magnétiques de très basse fréquence (16 Hz en particulier). Cet effet, découvert par Bawin puis Blackman aux USA, est observé en présence d'un champ magnétique constant de faible intensité (champ géomagnétique par exemple). Il est remarquable de constater que le même effet est obtenu par exposition à des radio-fréquences modulées à ces mêmes très basses fréquences (expériences de Dutta, Blackman, etc...).
Pour ces phénomènes étudiés par diverses équipes à travers le monde, il existe certaines convergences intéressantes et en particulier l'observation de fenêtres pour l'apparition d'effets (intensité, fréquences, doses, etc...).
Plusieurs physiciens ou physico-chimistes essaient de concevoir des théories capables d'expliquer ou de prévoir les phénomènes observés. De grands progrès sont enregistrés dans ce sens mais aucune percée remarquable n'est encore à signaler.
II-2. Etudes des effets biologiques
II-2.1 in vitro
Les deux groupes de Czerki et Cleary aux USA ont étudié la transformation lymphoblastique ou la prolifération de cellules sous exposition. Dans le premier cas, des micro-ondes PW de faible puissance (1 W/kg) diminuent la prolifération des lymphocytes stimulés par des mitogènes alors que dans le deuxième cas, des expositions à 27 ou 2450 MHz CW augmentent la prolifération de lymphocytes.
La conclusion de ce type d'études est que les ondes agissent
sur les cellules dans certaines phases de leur cycle.
Dans son étude des effets des micro-ondes sur les récepteurs du cerveau, Kolomitkin a montré in vitro que sous exposition (880 MHz, 1-100 W/kg) la conductivité des canaux était augmentée et qu'en même temps la probabilité pour un canal d'être ouvert augmentait (récepteur GABA). Un processus thermique local pourrait expliquer ce phénomène.
Le fonctionnement de canaux acétylcholine sous micro-ondes (10 GHz, CW, quelques dizaines de aW/cm2) a été étudié en détail par la méthode du patch-clamp par d'Inzeo et coll. (Rome). La probabilité de trouver les canaux ouverts diminue fortement dès le début de l'exposition et revient à son niveau normal sitôt l'irradiation terminée. La vitesse du processus de désensibilisation est augmentée sous exposition. La cible des ondes se trouve probablement à l'intérieur de la cellule plutôt qu'au niveau des canaux eux-mêmes.
L'effet des ondes millimétriques est étudié de nouveau et Grundier (Allemagne) qui était l'un des pionniers de ce type de recherche vient de présenter des résultats qui confirment ses observations antérieures : la croissance de levures est affectée par ces ondes de faible puissance (41,655 GHz, CW, SAR = 0,2 mW/kg ou 0,04 aW/kg). Ce type de résultats laisse imaginer que des effets existent in vivo et même aient des applications thérapeutiques telles que celles décrites plus loin.
II-2.2 in vivo
L'effet spécifique le mieux documenté de micro-ondes PW est le phénomène acoustique découvert avec l'invention du radar : l'absorption de l'onde au niveau du liquide céphalo-rachidien donne lieu à une onde acoustique qui se propage à l'intérieur du crâne et provoque l'audition d'un "clic" micro-onde. Les études actuelles porte sur le mécanisme d'interaction au niveau de la cochlée et sur l'existence éventuelle d'autres effets associés sur le fonctionnement du système nerveux central.
III- EXPERIENCES LIEES A L'ENVIRONNEMENT
III- 1. au-dessus du seuil thermique
Liddie et coll. aux USA ont montré qu'une exposition d'animaux à des puissances de 10 mW/cm2 (2,45 GHz, CW, SAR = 6,8 W/kg), provoquait une légère hyperthermie qui avait pour effet de protéger les souris contre une infection, mieux que ne le faisait une hyperthermie classique.
Monahan (FDA, USA) a montré, dans ses études des effets
des microondes sur les tissus oculaires, que, au-delà des
effets thermiques déjà connus, il existe un phénomène
d'absorption des micro-ondes par la mélanine suivi de
production de radicaux libres qui endommagent les tissus.
III- 2 en-dessous du seuil thermique
En France, certaines études de Deschaux et coll. avait montré des effets d'exposition à des intensités de l'ordre de 10 mW/cm2 mais, à plus basse puissance, en-dessous du seuil thermique (1 mW/cm2, 2,45 GHz, CW ou PW), aucune influence sur le développement de tumeurs greffées sur des souris ne fut observée. De même Liddie, cité plus haut, ne retrouva pas d'effet immunologique quand il utilisa sur le même modèle biologique une intensité de 1 mW/cm2.
Lai et coll. s'intéressent depuis plusieurs années à l'influence de micro-ondes pulsées (2,45 GHz PW, puise de 2 as, 800 pps) sur le système nerveux central du rat. L'effet observé est distinct de l'effet acoustique bien connu et la puissance (0,6 W/kg) se situe au dessous du seuil thermique. L'observation principale correspond à une diminution très nette de la capture de la choline dans l'hippocampe. Cet effet a une conséquence très nette sur l'apprentissage des animaux et un même effet sur la mémoire peut être obtenu à l'aide d'un bruit blanc intense. Il s'agit donc d'un effet global de stress.
Vinogradov à Kiev a découvert que des expositions micro-ondes de longue durée chez le rat (2,375 GHz, 50-500 aW/cm2, 30 jours, 7 h/j), provoquaient une modification de la stucture antigénique des protéines du cerveau et déclenchaient par là un processus auto-immun.
IV- EXPERIENCES LIEES A LA THERAPEUTIQUE
IV- 1 in vitro
Foley-Nolan et son équipe (Irlande) utilisent une porteuse à 27 MHz et mesurent l'inhibition de la croissance de cellules tumorales in vitro. Le signal est pulsé (290 as, 333 pps) et de faible puissance (1-3 mW/cm2). Six différents types de cellules ont été utilisés et tous présentent une inhibition de la croissance (entre 10 et 52 % suivant le type).
IV- 2 in vivo
Bentall (USA) utilise des ondes décamétriques de faible puissance (26 MHz, 80 as de pulse, 1040 pps, 500 aW/cm2) pour accélérer avec succès la cicatrisation de plaies chez l'animal.
A l'aide d'une électrode placée dans la bouche des
patients, Pasche et coll. appliquent un signal décamétrique
(26 MHz, AM 44 Hz, 25 mW) qui a pour effet
d'induire le sommeil et de diminuer l'amplitude des ondes a de l'EEG.
Ces résultats sont à rapprocher de ceux de Szabo
(Budapest) qui observe une augmentation de l'amplitude des ondes P de
l'EEG chez des rats soumis à une exposition de micro-ondes
"athermiques" (4 GHz, 8,4 W/kg) seulement quand elles sont
modulées à 16 Hz.
A Moscou, Pershin utilise des micro-ondes (460 MHz, au-dessus du seuil thermique) pour stimuler ou déprimer le système immunitaire de lapins. Pour cela il expose respectivement la région tyroïdienne ou les surrénales. Ce type de méthode d'exposition thérapeutique est déjà très utilisée en URSS pour faire baisser durablement la tension artérielle.
Sitko et son école (centres de recherche et hôpitaux en URSS) ont mis en uvre la MRT (microwave résonance therapy : thérapie par résonance micro-ondes). Ils utilisent des micro-ondes millimétriques de très faible puissance (seuil de 10 aW/cm2 autour de 70 GHz) qu'ils appliquent sur des points d'acupuncture. Les résultats obtenus en laboratoire et en milieu hospitalier sont impressionnants mais demandent à être confirmés indépendamment. Une activité intense de recherche de base in vitro et chez l'animal entoure ces applications cliniques.
Le développement très rapide de l'imagerie par résonance magnétique (IRM) commence à susciter des questions sur l'existence d'effets secondaires éventuels. Parmi les champs électromagnétiques utilisés dans cette technique, se trouve un rayonnement radio-fréquence à un niveau proche du seuil thermique. De plus ces effets éventuels pourraient être dus à des synergies entre champs magnétiques et radio-fréquence. Des expériences effectuées in vitro en Suède et aux USA ont montré que la transformation de lymphocytes pouvait être induite avec des séquences habituellement utilisées en imagerie diagnostic. De plus, une perméabilisation de la barrière hémato-encéphalique paraît être induite par l'ensemble des champs de l'IRM. Les études expérimentales permettront de classer les effets dus aux divers champs et d'énoncer éventuellement des normes de sécurité.
V- CONCLUSIONS
A la lumière des exemples donnés et de nombreuses autres observations faites en laboratoire, on peut tirer quelques conclusions provisoires :
Effets mutagènes et cancérigènes
En laboratoire il n'a pas encore été démontré clairement l'existence d'effets mutagéniques ou d'effets cancérigènes causés par des ondes présentes dans notre environnement. Dans les deux cas, la question reste malgré tout ouverte, en particulier dans le cas d'ondes modulées en très basse fréquence.
Effets tératogènes
Les effets tératogènes observés sont dus au stress thermique de même que l'effet de réduction de la spermatogénése.
Effet sur le comportement
L'effet sur le comportement d'animaux soumis à des expositions radio-fréquence a généralement été expliqué par une surcharge de la thermo-régulation, sauf dans le cas des expériences de Lai décrites plus haut où il s'agit encore d'un stress non-spécifique.
Système neuro-endocrinien
L'ensemble des résultats d'expériences destinées à déceler des effets biologiques impliquant le système neuro-endocrinien montre que la plupart des effets caractérisés obtenus au-dessus du seuil thermique sont explicables de façon classique. A moindre puissance, les taux d'hormones du stress sont peu affectés mais il reste quelques observations indiquant l'existence d'effets spécifiques.
Effets en immunologie
Si quelques effets sur les lymphocytes B sont bien documentés, in vivo et in vitro, il reste que les effets immunologiques positifs décrits sont peu nombreux et difficiles à interpréter car des variations de paramètres immunologiques peuvent être dus à des causes en amont, au niveau neuroendocrinien. Pourtant, certaines observations telles que les nôtres à Bordeaux semblent indiquer que des effets spécifiques existent. Des études approfondies in vitro permettront de distinguer la cible des ondes entre les cellules immunes et les systèmes régulateurs de l'immunité. Ce type de recherche est important à cause des retombées thérapeutiques éventuelles et de l'exposition chronique à certains rayonnement auquels l'homme est soumis.
Une conclusion générale est que les ondes PW sont plus souvent génératrices d'effets biologiques que les ondes CW, mais que de plus en plus de résultats indiquent que d'autres effets sont obtenus à l'aide d'ondes modulées en amplitude à très basses fréquences (50-60 Hz et surtout 16 Hz). Le phénomène est peut être alors à rapprocher des observations obtenues à l'aide de champs électriques ou magnétiques de très basses fréquences (sans porteuse RF).
Le premier effet des radio-fréquences étant d'échauffer les tissus (surtout à haute fréquence où l'eau est le principal absorbant), il est certain que, au-dessus du seuil thermique (autour de 4 W/kg de SAR), l'effet produit correspond à un échauffement général et localisé des tissus qui peut dépasser la thermo-régulation (d'où les techniques de diathermie et hyperthermie). Dans une gamme inférieure de puissance, la régulation thermique permet de garder une température corporelle constante et les effets biologiques sont alors dus à des échauffements localisés (organes, cellules, membranes, etc...). Pourtant, à très faible puissance quand l'apport calorifique est négligeable, des effets subsistent et ne peuvent être expliqués que par des interactions "spécifiques" entre les ondes et des récepteurs à définir (membranes près d'un changement de phase, protéines, complexe ligand-récepteur, substrat-enzyme, etc...). Dans ce dernier cas, il apparaît que la notion de dose est importante puisque certains effets paraissent cumulatifs.
REFERENCES
- CRC Handbook of Biological effects of Electromagnetic Fieids, C. Polk and E. Postow eds. CRC Press (1987).
- Critique of the literature on bioeffects of radiofrequency radiation : a comprehensive review pertinent to Air Force operations, L.N. Heynick, USAFSAM - TR-87-3 (1987).
- Biological effects of electromagnetic fields, M. A. Stuchly, in Review of Radio Science 1987-89, International Union of Radio Science, Brussels (1990).
- Microwave News (a report on non-ionizing radiation) L. Slesin
ed. bimonthly, New York.
* * *
Communication effectuée dans le cadre de la journée thématique du 25 janvier 1991 à Paris (Faculté de Jussieu).
Ce document est téléchargeable sur http://depris.cephes.free.fr/archives/veyret1991/index.htm